Panne électrique en Espagne : un chaos inédit… Et prévisible ?

Panne électrique en Espagne : un chaos inédit… Et prévisible ?


  •  La gigantesque panne électrique du 28 avril a paralysé le pays entier, révélant les fragilités d’un réseau peut-être mal préparé à sa transition rapide vers les énergies renouvelables.

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undi 28 avril, 12 h 33. L’Espagne s’éteint. En à peine quelques minutes, le pays tout entier bascule dans un néant électrique sans précédent, suivi de près par le Portugal. La consommation électrique espagnole s’effondre, passant de 25,18 GW à midi et demi, à seulement 12,4 GW une quinzaine de minutes plus tard, selon les données en temps réel de Red Electrica de España (REE), l’équivalent du RTE français.

 

De Madrid à Lisbonne, de Barcelone à Séville, des millions de citoyens se retrouvent piégés dans un invraisemblable chaos : métros immobilisés forçant les passagers à s’extraire des tunnels à la lueur de leurs téléphones, trains à l’arrêt, aéroports paralysés, hôpitaux contraints de lancer en urgence leurs groupes électrogènes… L’onde de choc, partout, a été fulgurante, entraînant la fermeture de certains supermarchés, l’arrêt immédiat des usines, l’effondrement des réseaux mobiles et du trafic Internet, jusqu’à l’interruption de l’Open de Tennis de Madrid, les spectateurs quittant le stade dans une ambiance irréelle.

 

Dans les supermarchés encore ouverts, les Espagnols ont fait leurs courses  éclairés au smartphone. © Bruna Casas / REUTERS

 

Dans les supermarchés encore ouverts, les Espagnols ont fait leurs courses  éclairés au smartphone.© Bruna Casas / REUTERS

À 22 heures, alors que le courant revenait timidement dans plusieurs régions, le gouvernement espagnol indiquait avoir réussi à porter sa production d’électricité à environ 18 gigawatts – un effort ralenti, cette fois, par le coucher du soleil signifiant l’arrêt de la production photovoltaïque. À cette heure de la soirée, d’ordinaire, l’Espagne consomme entre 25 et 30 gigawatts. Quatre centrales nucléaires se sont arrêtées automatiquement, leurs réacteurs basculant sur des moteurs diesel, selon le Conseil de sécurité espagnol. Un réflexe signalant une perturbation grave.

Que s’est-il passé ? « Les techniciens rapportent que 15 gigawatts ont soudainement disparu du système en l’espace de cinq secondes. Cela n’était jamais arrivé auparavant. Cela équivaut à 60 % de la demande du pays », a éludé le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, ce lundi soir. » Qu’est-ce qui l’a provoqué ? Ils n’ont pas encore pu le déterminer, mais ils y parviendront. Sans écarter aucune hypothèse, sans exclure aucune possibilité ». Au Portugal, Luis Montenegro avait pointé, plus tôt dans la journée, « un problème sur le réseau espagnol », sans plus de précisions. Mais quel problème ? En l’absence de réponse, les hypothèses s’enflamment.

À la recherche des causes

La piste d’une cyberattaque, aussitôt évoquée, est rapidement écartée par le président du Conseil européen, Antonio Costa. Un incendie sur une ligne haute tension entre l’Espagne et la France ? La rumeur est catégoriquement démentie par l’opérateur français RTE. Une panne matérielle isolée ? « Cela ne provoquerait pas un black-out d’une telle ampleur », doute auprès du Point un expert des réseaux. En fin d’après-midi, l’opérateur portugais REN évoque des « oscillations anormales » dans les lignes à haute tension espagnoles, attribuées à des « variations extrêmes de températures dans l’intérieur de l’Espagne. » Un vague « phénomène atmosphérique rare », jugé peu convaincant par les experts consultés par Le Point : aucun n’était en mesure, lundi soir, de confirmer cette version.

Une autre explication est particulièrement explorée, tant par les acteurs des systèmes électriques que par la Commission européenne : une brusque inadéquation entre l’offre et la demande d’électricité, entraînée par une surproduction ponctuelle d’énergies renouvelables, que le réseau aurait été incapable d’absorber.

Le défi des réseaux face aux énergies renouvelables

L’Espagne, où 56 % de l’électricité provient du solaire, de l’éolien et de l’hydraulique, a vu sa part de renouvelable bondir dans son mix électrique à un rythme accéléré : entre 2022 et 2024, le parc de production éolien est ainsi passé de 22 gigawatts à près de 32 gigawatts, tandis que le parc de production solaire s’étendait de 17 à 35 gigawatts. À 12 h 30, au moment de la panne, la production espagnole d’électricité dépassait 28 gigawatts, dont 60 % générés par le solaire, selon les données compilées par Electricity Maps. Or l’Espagne est mal équipée, en cas de pic de production, pour gérer les excédents. Ses capacités de stockage restent limitées. Et la péninsule, sorte « d’îlot énergétique », a des interconnexions limitées avec l’Europe : le pays peut exporter quelque 3 000 mégawatts vers la France, autant vers le Portugal, et 1 400 mégawatts vers le Maroc. Que faire, à l’instant T, si ses voisins n’ont pas besoin de surplus d’électricité ? « La dépendance aux renouvelables expose à des pointes imprévisibles », avance un expert.

 

 

 

Dans la soirée, le directeur des Services à l’exploitation de l’opérateur espagnol REE, Eduardo Prieto, se refusait à toute spéculation, indiquant que l’opérateur aurait besoin d’étudier « des centaines de milliers de données » pour identifier l’origine de la crise. L’« effondrement total du système électrique » aurait été généré par « une forte oscillation des flux d’énergie accompagnée d’une perte de production très importante ». « Cette perte de production a dépassé la perturbation de référence avec laquelle les systèmes électriques sont conçus et exploités dans toute l’Union européenne et, par conséquent, le système électrique de la péninsule espagnole a été déconnecté du reste du système européen. Autrement dit, l’interconnexion avec la France a été interrompue », a-t-il expliqué.

 

 

 

 

L’enquête de l’opérateur livrera bientôt ses conclusions. En attendant, si les lampes se rallument, l’Espagne retient son souffle. Rassemblés à Londres lors d’un sommet les 24 et 25 avril derniers, les experts mondiaux de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ont martelé l’urgence de moderniser les systèmes électriques pour accompagner la transition énergétique, plaidant pour un équilibre entre ENR, stockages et sources flexibles (gaz, hydraulique) pour stabiliser les réseaux. Vers 7 heures du matin, ce mardi, la situation était revenue à la normale sur 99 % du réseau espagnol. Tout comme du côté portugais.

 
 
 
 

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